La (re)naissance des Paysans

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Les Collégiens et le Carnaval de Binche 

Au bon vieux temps d’avant-guerre

C’est en 1897, semble-t-il, que les élèves binchois – car ce privilège leur est réservé – participèrent pour la première fois en groupe aux « folies carnavalesques ». Avant cela, et déjà au temps de l’ancien collège St-Augustin, les élèves se mêlaient aux joyeux ébats de la cité des Gilles, mais c’était en bandes éparpillées.

En cette année 1897 où ils s’assemblèrent sous la conduite du premier surveillant du collège, les externes étaient travestis en « étudiants médiévaux ». L’année suivante, ils se métamorphosaient en « Zouaves » et, en 1899, en « Albanais ».

La plus ancienne photo conservée dans les archives de la maison date de 1903 et montre un groupe sympathique de « pages fantaisistes » autour des abbés Gorlia et Deroubaix, accompagnés d’un orchestre coiffé de … chapeaux boules (Il n’y avait donc pas encore de vessies ?...).


Ces musiciens venaient alors déjà d’Estinnes et jouaient, prétendent les puristes, de façon assez discordante … . En 1904, les collégiens figuraient les « valets de carreau » et, d’après la photo, étaient une cinquantaine ; en 1905, c’étaient les « hussards blancs ». En 1908, le costume du « Doge de Venise » est adopté ; une photo de ce groupe montre l’abbé Fleurquin en admiration devant le jeune Robert Gigounon qui danse de tout son cœur. (Il parait qu’il avait reçu 20 oranges, qu’il en jeta une et … mangea les 19 autres… !). En 1909, on pouvait admirer les « Pages de Malborough », parmi lesquels Ursmer Leroy, Emile Leroy, Michel Levie, Ursmer Sauvenière, Paul Eyckmans, etc. En 1910, une carte-vue présente un ensemble de « pages en perruque blonde », protégés par de grands parapluies tout ruisselants, et, en souscription, cette légende évocatrice : « un départ intrépide » ...

En ce temps-là, les costumes se ressemblaient assez fort d’une année à l’autre : sans doute s’efforçait-on de transformer ce qu’on avait, pour réduire les frais. Entre 1907 et1914, le travesti coûtait environ 20 francs et était confectionné par Emile Deneufbourg dit « le grand binchou » ; pour ne pas dépasser ce tarif, on choisissait un costume sans perruque, ou bien on supprimait la perruque et l’on se payait le luxe d’un manteau ou cape. C’était toujours le premier surveillant qui menait le groupe de collégiens, depuis l’abbé Fernand Sirault en passant par les abbés Pollart, Caudron, Delhaye, jusqu’à l’abbé Nachtergael qui verra l’adoption du Paysan. Le « coureur » attitré des débuts fut le sympathique Charles Cousaert, le concierge du collège, qui revêtait le classique « domino noir ».

Du carnaval 1911, nous gardons des photos de gentils « marquis » qui se dirigent vers l’école de l’Immaculée, puis qui dégustent sur la cour de l’asile Ste-Philomène de délicieux caramels, tandis que les professeurs esquissent un pas de danse discret mais convaincu. M. le Principal Clautriau rappelle qu’en prenant la direction du collège en 1913, sa première tâche officielle fut d’aller chez Deparadis choisir le costume que porteraient les étudiants au prochain mardi-gras : « le valet de carreau ». 


La tradition était établie déjà : le dimanche, les « beaux masques » venaient intriguer leurs professeurs ; le lundi, la société de la Jeunesse catholique envahissaient la cour et les locaux ;et le mardi, les bombardements d’oranges accablaient les professeurs massés sur le perron, lequel sortait de l’aventure juteux et dégoulinant ; à la soirée, pour finir en beauté, un vin d’honneur était offert au réfectoire par les bonnes sœurs entraînées elles aussi dans la fête, puis on dansait la dernière, farouche et déchaînée … .

Les années grasses de la fantaisie


Après les années maigres de la guerre, les tambours en 1920 rappelèrent les Binchois à leur inimitable carnaval. Mais les temps étaient durs et ce fut une société de « Méli-mélo » que l’exubérant G. Hupin mit sur pied à grand peine : on ne s’amusa pas moins bien, et l’on se promit de faire mieux l’année suivante.

De fait, en 1921, le groupe des « clowns » était merveilleux de fraîcheur ; c’est à partir de ce carnaval qu’Emile Lechien prit la succession de Charles comme « coureur » ; il allait remplir ce rôle, avec une conscience toute paternelle, pendant plus de trente ans. En 1922, les turbulents collégiens furent des « Bretons » souriants sous un beau soleil. En 1923, deux tambours et six musiciens encadrent une soixantaine de « Pêcheurs napolitains », parmi lesquels le futur « lieutenant souriant » qui fit du collège ses premières armes carnavalesques. En 1924, ce sont les « Chinois » ; en 1925, voici le groupe martial des « Zouaves » ; en 1926, les « Princes hindous » brandissent leur cimeterre avec sourire. 


C’est en 1927 que les collégiens, au nombre de 80, se présentent en « Toréadors » sous la conduite de Georges Pierret, et la surveillance d’un binchois d’adoption, l’abbé Nachtergael. Celui-ci s’occupera pendant 15 ans des turbulents élèves, dépouillant pour les jours de folie le masque austère du préfet de discipline et dansant aussi bien, ou presque, que les « purs sangs de binchous ». Le carnaval 1928 fut princier par la présence des enfants royaux Marie-José et Charles de Belgique. Les « Pierrots » rubis et or, leur exprimèrent dans l’ivresse d’un soleil éclatant, une sympathie juteuse ; parmi les danseurs, on reconnaît, sur une photo, la frimousse avenante d’Albert Douillet, le futur président des Anciens. Les « Fous du Roy » de 1929 dans leur léger satin bleu et or se souvinrent longtemps de la morsure du froid (il gela à treize degrés sous zéro) ; heureusement leurs chapeaux pointus protégeaient un peu les oreilles. Des glaçons paralysèrent les instruments cuivrés, mais on dansa avec autant d’acharnement, et le journaliste P.Werrie put écrire « Le carnaval de Binche est un état héroïque de gaîté ».

 

Le paysan s’en va-t-à la ville…


Après le carnaval de 1928, M. le principal Bayet discuta avec les autorités urbaines de la reprise par le collège du pimpant et caractéristique costume des « Paysans ». Les Binchois regrettaient, en effet, l’extinction de cette société traditionnelle, dont l’origine est due, probablement, à l’intervention des paysans des villages environnants qui venaient dans leurs plus beaux atours prendre part aux rondes joyeuses des Gilles de Binche. Pourtant, il fallut l’année du centenaire de notre indépendance et la ténacité concertée de plusieurs amis et anciens du collège, notamment de M. Marcel Ancart et de M. Maxime Ferin, pour que le désir si cher des gardiens de la tradition se réalise. Un subside exceptionnel fut accordé à M. l’abbé Nachtergael par l’administration communale, pour le lancement décisif de la société au collège : il fallait faire face à des frais considérables pour les gibecières confiées à la maison Bailly et les chapeaux à la maison Collard. 


S’inspirant des anciens documents, notamment d’une gravure du « National » datant de 1875, la tenue du « paysan » fut reconstituée aussi fidèlement que possible : pantalon blanc et ample sarrau de toile bleue, rehaussé de manchettes amidonnées et d’un col raide ; souliers vernis noirs ornés de « renoms » immaculés ; au côté gauche pend une gibecière remplie d’oranges ; le chapeau, imité modestement de celui du Gille, est fait de deux plumes d’autruche, blanches et frisées qui dominent une coiffe parsemée de dizaines de fleurs des champs avec, au centre, trois étoiles d’or et des épis d’avoine balançant leurs clochettes. Grâce aux générosités, les élèves purent se travestir en « paysan », en 1930, pour moins de 200 francs ; et ils avaient vraiment fière allure et noble prestance dans leurs fraîches couleurs ; le premier président des « paysans » fut Maurice Roulet ; ils étaient 62.

Désormais, chaque année, les « Paysans » s’en iront à la ville, partant du collège qui monopolise cette tenue où s’harmonisent si parfaitement deux couleurs charmantes. En 1938, ils seront plus de cent, sous la présidence de Maurice Ancart. Après les dures années de guerre, le carnaval renaît avec fougue en 1946. La Société des Paysans se reconstitue, non sans peine, car il faut de nouvelles gibecières, de nouveaux chapeaux et … des oranges bien rares à ce moment. Grâce au nouvel « aumônier » des « Paysans », l’abbé Ramboux, un vrai Binchois, rien ne manquera, pas même les oranges arrivées in extremis en petite quantité ; 75 « Paysans » prendront le départ sous la conduite de Jean-Marie Collard qui sera trois fois président de la Société. Chaque année, ils seront près de cent, toujours aussi frais, aussi ardents, aussi admirés. En 1950, ils ont fêté leur 20e carnaval. Ils viennent de célébrer, au carnaval 1955, le 25e anniversaire de la résurrection de cette belle Société dont le Collège est légitimement fière.
 

Texte et photos, intégralement tiré du « Mémorial du 75e anniversaire du Collège de Binche », édité en 1955 avec la collaboration du corps professoral de l’époque et du photographe binchois Gérard Lebrun. 

 

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Les Gilles de Binche ne quittent jamais leur cité natale. Il en va de même pour les Paysans de Binche.